Trois questions à María Gabriela Sáenz,
Déléguée régionale de l’association Chantier Ecole Ile-de-France * et membre du collège Insertion de la CRESS Ile-de-France.

  1.  Pourquoi le secteur de l’insertion s’inquiète-t-il ?
    En 2018, la loi “pour la liberté de choisir son avenir professionnel” a inclus, via un amendement, la création d’un dispositif expérimental : les EITI, entreprises d’insertion par le travail indépendant. Ce n’est qu’après le vote de la loi que les réseaux de l’insertion par l’activité économique ont été associés à la discussion. Ils n’ont donc pas pu apporter leurs contributions en amont. Ce dispositif est en contradiction avec le Code du travail, qui définit l’insertion par l’activité économique comme une activité économique permettant de bénéficier d’un contrat de travail salarié. Or, le contrat de travail est essentiel, car il est la clé de la qualité du parcours : il apporte une garantie de revenus, il permet d’éviter l’absentéisme, il protège l’employé au titre du chômage ou de la maladie, il garantit une formation professionnelle en plus d’un accompagnement social… Le travail indépendant, lui, sort du cadre du contrat de travail, il ne permet pas de structurer ces questions-là. De plus, dans les chantiers école, une action d’insertion par le travail doit forcément être une situation “apprenante”. Les ateliers et chantiers d’insertion savent identifier les compétences, les évaluer et en attester. Mais nous ne comprenons pas comment se fera l’évaluation des compétences dans le cadre d’un travail indépendant.
  2. Quelles conséquences budgétaires cela implique-t-il ?
    Au moment de l’annonce de la loi, nous avions quatre formes de structures d’insertion en France. La loi nous en impose une cinquième, qui émargera sur l’enveloppe budgétaire de l’insertion économique. De plus, dans le cadre de la Stratégie de lutte contre la pauvreté, le gouvernement veut augmenter de 5.000 ETP le nombre de postes en insertion, mais sans préciser comment cela se traduit en termes budgétaires. Or, les aides au poste peuvent varier de 1.300 € à 20.000 € selon les structures. Il y a donc des enjeux financiers importants, dans un contexte où les structures d’insertion existantes subissent des désengagements financiers publics conséquents.
  3. Que demandez-vous aux pouvoirs publics ?
    Les entreprises d’insertion par le travail indépendant (EITI) peuvent être une marche supplémentaire vers le parcours d’insertion, suivant les projets des salariés. Mais il faut surveiller le dispositif d’accompagnement : celui-ci pourrait se faire en lien, par exemple, avec les coopératives d’activité économique (CAE) qui sécurisent déjà les entrepreneurs. Le lien avec les autres SIAE du territoire est fondamental pour construire des parcours pertinents. Sur le plan budgétaire, il ne faut pas que l’un des dispositifs existants soit privilégié par rapport aux autres, car tous ont leur finalité, leur utilité et leur impact. Le maillage territorial et le maintien de la diversité de l’offre d’insertion sont des enjeux importants. Enfin, concernant l’acquisition de compétences, il faut veiller à la mise en œuvre et aux critères définis pour l’évaluation de cette expérimentation. Un travail collectif avec les acteurs des autres dispositifs de l’insertion par l’activité économique est nécessaire.

* Le réseau CHANTIER école Île-de-France, créé en 2001, est un réseau d’acteurs de l’insertion et de la formation des entreprises sociales apprenantes, qui représente 65 structures franciliennes gérant 155 Ateliers et Chantiers d’Insertion. Elles emploient plus de 2.000 salariés en parcours d’insertion et 820 permanents.