À l’issue de son AG, la CRESS organisait un débat autour des répercussions de la loi ESS pour les acteurs de l’ESS et leurs têtes de réseau. Parmi la quarantaine de participants, figuraient notamment Pierre Laurent, sénateur de Paris, Michel Abhervé, professeur à l’université de Marne-la-Vallée, Corinne Bord, conseillère régionale, Frédéric Vuillod, journaliste économique et fondateur de l’université populaire du XIVe, Jean-Philippe Milesy, Rencontres sociales.
Pour faciliter les échanges, un exposé introductif de Michel Abhervé commentait le projet de loi dans son état du 3 juillet.

Le périmètre de l’ESS

La première intervention – Frédéric Vuillod – entrait dans le vif du sujet : « il est scandaleux que les mutuelles d’assurances et les coopératives bancaires fassent partie de l’ESS (…). Quand on est une banque aujourd’hui, on ne peut pas respecter les critères de définition d’une entreprise de l’ESS ». Jean-Jacques Dret, président du collège mutualiste santé de la CRESS représentant la MNT, lui répondait que « la mutualité est un assureur paradoxal. L’ANI (NDLR : l’accord national interprofessionnel signé en 2013, qui impose une couverture collective santé à tous les salariés) met obligatoirement en concurrence les mutuelles santé de l’ESS avec les groupe de prévoyance capitalistes ».

Jean-Philippe Milesy, tout en se félicitant du texte, même si ce n’est pas « la grande loi que l’on attendait » interrogeait l’assistance sur l’ouverture du champ de l’ESS : « que veut dire une lucrativité limitée ? ». Eric Forti mettait en relief « le comportement de d’acteurs « historiques »  qui militent pour leur inscription automatique dans l’ESS alors même qu’ils se placent sur le marché, par ex. les coopératives bancaires… Pour répondre à JP Milesy, il y a déjà dans l’ESS aujourd’hui des entreprises lucratives. Le législateur n’a pas adopté une logique secteur marchand / secteur non marchand, mais celle de la gouvernance, assortie d’un faisceau de critères. Dans l’économie capitaliste, le capital est une propriété individuelle, avec un versement de dividendes. Dans l’ESS, les réserves sont impartageables.» Il reconnaissait cependant que « il y a un vrai problème d’évolution de la gouvernance démocratique dans les banques. Nous devons faire vivre cette loi, en exigeant le respect des critères qu’elle énumère ».

Vigilance aussi de Pierre Laurent : « nous avons souligné nos inquiétudes dans le débat parlementaire sur le sujet de la gouvernance démocratique. Nous avons dû amender le texte et nous battre pour la prise en compte de ces amendements. Gérard Le Cam, par exemple, a déposé des amendements sur la gouvernance démocratique. Nous avons voté la loi. Mais il faut rester vigilant devant les fragilités qu’elle contient. » Le sénateur revenait ensuite sur les monnaies locales « certes reconnues, mais assujetties au code bancaire ». Il commentait aussi les articles 11 et 12 (NDLR : facilitant la cession d’une entreprise à ses salariés) : « le MEDEF s’est arc-bouté pour que la loi ne favorise pas le modèle coopératif ».

En accord avec Pierre Laurent, Corinne Bord confirmait que « le débat sur le périmètre de l’ESS a été épique au sein de l’Assemblée des régions de France ». Elle observait que « la perception des élus sur l’ESS n’a rien à voir avec ce que nous sommes et représentons ici ». L’élue régionale ajoutait que « sur les banques, il faut reconnaître le cheminement accompli depuis 2006 ». Eric Forti rappelait que « c’est une loi-cadre. À des degrés divers, les acteurs de l’ESS ont en commun de vouloir transformer les modes de production et de consommation afin de transformer la société ».

Le rôle des CRESS

Un participant lançait une interpellation « beaucoup de CRESS sont des associations, comment vont-elles pouvoir faire adhérer des entreprises ? ». M. Abhervé lui répondait que « les CRESS sont et resteront des associations, avec le pouvoir de faire adhérer en leur sein des structures aux statuts divers ». Corinne Bord mentionnait la réflexion en cours au conseil régional sur « l’articulation entre la CRESS et les autres dispositifs ». « Des missions sont confiées à la CRESS qui, auparavant été assumées par d’autres structures. Le conseil régional doit l’accompagner financièrement. Il y a un travail de structuration à faire ». Elle ajoutait que « la gouvernance de l’Atelier suscite des débats ».

Frédéric Vuillod constatait que « dans le XIVe, les acteurs de l’ESS connaissent bien les réseaux de financement, mais pas la CRESS. Est-ce un enjeu pour la CRESS de se faire connaître ? » Eric Forti lui répondait : « nous prenons acte de la capacité que va nous donner la loi de faire adhérer, en direct, des entreprises. Mais, il faut savoir qu’à la CRESS IdF nous souhaitons renforcer la démocratie représentative, avant tout » (NDLR : par opposition à la démocratie directe). Il ajoutait que : « nous constituons un réseau national structuré comme une pyramide montante, avec à sa pointe le CNCRESS, composé des CRESS et chargé de les coordonner ».
Pierre Laurent observait : « en vous écoutant, je pense qu’il faut être vigilant pour préserver le caractère horizontal de l’ESS, ne pas tomber dans un modèle vertical descendant ». Il s’interrogeait alors sur la création d’une nouvelle structure nationale : « d’où est sortie la CFESS ? ». P. Laurent évoquait ensuite la réforme territoriale qui ne manquera pas d’impacter les acteurs de l’ESS, se demandant comment s’articuleraient la région et la métropole Grand Paris en Île-de-France. Il s’inquiétait de la mise en perspective « de l’austérité et de l’extinction de certains échelons administratifs territoriaux… »

Les soutiens financiers

Jean-Philippe Milesy regrettait que « la BPI ne consacre que 1 % aux financements des entreprises de l’ESS … » Corinne Bord notait que « l’enjeu de la BPI, ce sont des tuyaux. Nous avons fléché les financements. Encore faut-il que nous ayons des demandes des entreprises de l’ESS pour qu’ils soient utilisés. Celles-ci doivent avoir le réflexe de se tourner vers les services  de développement économique. On ne sait donner que si des entreprises ne déposent des dossiers… ».
Frédéric Vuillod comparait ces remarques au discours des banquiers. « Ils nous disent : on est banquier, on prend des risques. Ils disent aussi qu’ils prennent les bons risques, soit, en fait, pas de risque ! L’ESS ne correspond pas à leur modèle économique. » Nicole Deshayes, présidente de l’association des ludothèques d’Île-de-France, pense qu’il y a aussi un décalage culturel : « le conseil régional est capable d’attendre trois ans les résultats d’une entreprise, mais pas ceux d’une association ». François Henrion, de l’UNAT, relevait que « les dossiers sont tellement compliqués que nous n’en déposons pas ». Se faisant le porte-parole des « petites associations », il exhortait à « ne pas oublier les bénévoles, l’engagement humain. Il faut donner à l’argent un autre rôle ».
Eric Forti faisait remarquer que « le périmètre de l’ESS nouvellement défini par la loi n’inclut pas toutes les associations. D’ailleurs, celles-ci n’ont pas toutes forcément envie de s’inscrire dans l’ESS ».

En guise de conclusion, le président de la CRESS relevait que « les difficultés sont devant nous, avec un représentant de l’ESS au Gouvernement beaucoup plus faible que ne l’était un ministre délégué, et doté d’une administration centrale quasi-inexistante. Nous allons devoir nous mettre bien d’accord entre nous sur l’outil CRESS que nous voulons. Il s’agit pour l’heure de mettre en place des dispositifs opérationnels pour promouvoir l’ESS et permettre son changement d’échelle, il faut obtenir pour y parvenir la reconnaissance et le soutien des pouvoirs publics. »