Olivia Grégoire, Secrétaire d’Etat à l’économie sociale, solidaire et responsable vient de publier la feuille de route. Retour sur les ambitions du Secrétariat d’Etat en matière d’ESS.

Q : Quels sont les principaux piliers de votre feuille de route pour l’ESS et quelle est la logique politique qui guide votre action ?

Olivia Grégoire : Faire, du réel et du concret. Je ne peux pas me satisfaire d’incantations. C’est la première fois depuis 2014 que l’ESS revient à Bercy. Elle y a toute sa place au cœur du réacteur. J’ai eu l’honneur d’être nommée Secrétaire d’Etat à l’économie sociale, solidaire et responsable, au beau milieu d’une terrible crise sanitaire, qui a créé une situation économique inédite. Ma feuille de route pour l’ESS vise donc en premier lieu à traiter l’urgence, tout en l’articulant avec la relance.

D’abord, traiter l’urgence, ça a signifié s’assurer que les structures de l’ESS avaient accès aux mêmes dispositifs de soutien que celles de l’économie conventionnelle : fonds de solidarité, PGE, activité partielle, numérisation des commerçants … Toutes les mesures sont répertoriées dans un guide que nous mettons régulièrement à jour avec mon cabinet, à cette adresse. J’ai pu également, grâce au soutien de notre Premier ministre et de Bruno Le Maire, créer un fonds de 30 millions d’euros pour les petites structures employeuses de l’ESS qui n’ont pas eu le réflexe ou le temps d’aller chercher ces aides.

Ensuite, s’assurer de la relance, c’est inscrire l’ESS dans le plan de relance annoncé en septembre, avec 1,3 milliard d’euros qui bénéficiera directement à l’économie sociale et solidaire, auquel s’ajoutent 2,9 milliards d’euros qui pourront lui bénéficier indirectement, à travers des projets en faveur de l’économie circulaire, du soutien à l’emploi des personnes en situation de handicap, du tourisme durable et de la transition agro-écologique.

Q : Le premier pilier de votre feuille de route est axé sur la définition d’une économie à impact, sur les contrats à impact innovants, ainsi que sur les indicateurs de performance extra-financière : n’avez-vous pas peur de techniciser l’économie sociale et solidaire, qui est d’abord une économie de terrain ?

Olivia Grégoire : Je place au cœur de ma mission les passerelles entre l’économie conventionnelle et l’ESS. Cela ne veut pas dire « techniciser l’ESS », cela signifie plutôt que chacune de ces économies peut se nourrir des réussites et des avancées de l’autre.

Vous citez les contrats à impact, qui représentent pour moi une passerelle au niveau du financement. Le mécanisme du contrat à impact permet à l’Etat d’amplifier les solutions portées par des structures de l’économie sociale et solidaire (associations, entrepreneurs sociaux, fondations, coopératives, mutuelles), en leur donnant la possibilité de s’adresser à de nouveaux publics ou territoires : le projet est financé par un ou des investisseurs privés qui sont remboursés par l’Etat en fonction de la réussite effective du projet, évaluée sur la base d’indicateurs définis en amont par les porteurs de projet, l’Etat et les investisseurs. Avec cette incitation, nous allons convaincre de nouveaux financeurs de venir s’intéresser à l’impact écologique et social.

Quant à la performance extra-financière, ce sont ici des enjeux qui intéressent tous les acteurs de l’économie, et sur lesquels l’ESS est largement en avance parce que ce secteur cherche depuis longtemps à matérialiser, comptabiliser, démontrer l’impact de ses actions.

Q : Quels financements prévoyez-vous pour développer, comme vous le souhaitez, les Pôles territoriaux de compétences économiques (PTCE), les Dispositifs locaux d’accompagnement (DLA) ou la montée en compétences numériques des acteurs de l’économie sociale et solidaire ?

Olivia Grégoire : Avant de parler de l’offre de financement, il faut savoir le besoin auquel il répond. Cela a impliqué de revoir certains dispositifs : nous avons parlé des contrats à impact, le même problème s’est posé pour les PTCE, sur lesquels j’ai demandé au Labo de l’ESS de me remettre un rapport. Là où nous avons un besoin identifié, nous pourrons toujours identifier un financement.

Je le dis d’autant plus que, dans le cadre de France Relance, j’ai signé avec le groupe Caisse des Dépôts début novembre une convention sécurisant 300 millions d’euros consacrée à la relance de l’économie sociale et solidaire. Je n’ai pas non plus eu de difficulté à obtenir un financement pour augmenter de 30% le DLA, avec 2,8 millions d’euros supplémentaires alloués en décembre dernier, considérant son rôle central dans l’exécution de la politique publique de lutte contre l’urgence économique et dans la mise en œuvre du plan France Relance au service de l’ESS.

Le problème peut être plus pernicieux sur la question de la numérisation : à l’occasion du reconfinement, nous avons cherché à identifier les besoins numériques des acteurs de l’ESS qui ne seraient pas couverts par les dispositifs actuels de droit commun. Nous poursuivons la réflexion.

Q : Vous dites que l’ESS a changé d’échelle au sein du gouvernement, mais vous évoquez au conditionnel le renforcement des critères de durabilité dans les achats publics. L’Etat ne doit-il pas être exemplaire tout de suite et montrer le chemin aux autres acteurs publics ?

Olivia Grégoire : C’est un point essentiel de la discussion du projet de loi Climat et résilience, dont nous aurons l’occasion de discuter au Parlement. Il y aura désormais un critère écologique obligatoire dans les marchés publics, que ce soit dans la passation ou dans l’exécution. Et cette mesure devrait être mise en œuvre beaucoup plus rapidement que ne le proposait la Convention citoyenne. L’Etat doit évidemment être exemplaire et, sur de nombreux aspects, il l’est déjà.

Q : Vous voulez créer un “réflexe ESS” dans les territoires en instaurant une relation privilégiée entre les correspondants ESS du ministère de l’Économie, parfois un peu dépassés, et les Chambres régionales de l’ESS (CRESS) : les CRESS sont-elles prêtes et suffisamment dotées pour cela ?

Olivia Grégoire : Les CRESS sont des acteurs indispensables de la représentation territoriale, elles ont un rôle clé de formation et de structuration de l’écosystème, notamment dans la constitution de coopérations qui permettent une action globale sur le développement durable des territoires. Si elles ne s’estiment pas assez dotées pour cela, nous en discuterons ensemble, elles savent pouvoir compter sur mon énergie et mon engagement. Nous communiquons régulièrement avec les CRESS, les têtes de réseaux, et tous les acteurs dans les territoires. Par ailleurs, je tiens à rappeler que ma première action à Bercy a été d’augmenter les effectifs du pôle ESS de la DG Trésor.

Q : Votre feuille de route est dense. Mais, dans douze mois, nous serons à la veille de l’élection présidentielle. D’ici-là, quelles sont vos priorités essentielles ?

Olivia Grégoire : Assurer qu’un maximum de structures puissent sortir de la crise, c’est ma priorité dans l’urgence. Et pour cela, au moins autant que le « faire », il y a le « faire savoir ». Dans l’ESS, le non-recours est un fléau. Bien souvent les structures de l’ESS s’auto-censurent ou préjugent du fait qu’elles n’auront pas droit à … Mon rôle, en tant que Secrétaire d’Etat, c’est aussi de passer le message et de rappeler de façon pédagogique que le gouvernement les soutient, qu’il existe des aides, et qu’il faut aller les chercher. Pour assurer la relance, on a d’abord besoin que les structures restent debout.

Propos recueillis par Frédéric Vuillod (Mediatico), pour la CRESS Ile-de-France