Alors que le gouvernement cherche à faire 1,4 milliard d’euros d’économies pour financer les mesures pour le pouvoir d’achat, le mécénat d’entreprise se trouve tout à coup assimilé aux fameuses « niches fiscales » et se trouve dans le viseur de Bercy. Les acteurs de la générosité se mobilisent et alertent sur le risque d’un “crash philanthropique”. Entretien détaillé avec Jean-Marc Pautras, le nouveau délégué général du Centre français des fonds et fondations.

Quel est le fondement du coup de colère des acteurs de la générosité ?

Jean-Marc Pautras : La Cour des Comptes a publié fin 2018 un rapport conséquent et critique sur le mécénat d’entreprise et sur les fondations. Ce rapport a débouché sur la création d’une commission parlementaire qui a ouvert une discussion avec le secteur. Puis est arrivée la commission des finances. Là encore, un dialogue a été initié. Mais alors que le travail de la commission était en cours, le gouvernement a donné des signaux forts d’un arbitrage allant dans le sens d’une révision des conditions du mécénat d’entreprise, d’une révision du taux de déductibilité, d’une remise en cause du mécénat de compétences et d’une assimilation du mécénat d’entreprise à une niche fiscale. Cela nous a fait bondir.

Pourquoi le mécénat ne peut-il pas être considéré comme une niche fiscale ?

J-M. P. : Il est très problématique de penser le mécénat ainsi. Le principe d’une niche fiscale, c’est de s’enrichir. Au contraire, le mécénat consiste en un appauvrissement au profit d’autrui. C’est ce que font la très grande majorité des entreprises mécènes : elles dépensent de l’argent pour financer l’intérêt général. Certes, la Cour des Comptes a dénoncé certaines pratiques de grands acteurs du secteur, l’un d’entre eux [LVMH, ndlr] étant particulièrement cité vu son poids et vu le coût fiscal de ses actions de mécénat culturel. Le gouvernement a saisi ces quelques cas emblématiques pour dire qu’il fallait raboter le coût des niches fiscales. Mais la très grande majorité des entreprises mécènes ne sont pas concernées par ce débat.

Le gouvernement semble hésiter, pourrait-il faire machine arrière ?

J-M. P. : C’est l’Etat qui avait impulsé, avec la loi Aillagon en 2003, ce rapprochement entre les entreprises privées et le secteur de l’intérêt général. Aujourd’hui, il semble incohérent. Le président de la commission des Finances, Gilles Carrez, a affirmé sur France 2 que le mécénat était une niche fiscale. Le lendemain, le secrétaire d’État Gabriel Attal organisait une journée philanthropique. Pas très heureux que ces annonces viennent le court-circuiter, il a répondu que lui ne considérait pas le mécénat comme une niche fiscale. Il y a plusieurs sons de cloche sur le sujet, au plus haut niveau de l’État. Bercy, le Premier ministre et le Président de la République doivent se prononcer sur cette question.

Que deviendrait le régime fiscal du mécénat, s’il devait être modifié ?

J-M. P. : La Cour des Comptes signale que la dépense fiscale générée par le mécénat était de 900 M€ en 2017, contre 90 M€ avant la Loi Aillagon de 2003. Soit un coût multiplié par dix pour les finances publiques. Cette lecture est biaisée, car il n’y avait pas d’incitation fiscale pour le mécénat avant 2003 et les entreprises se tournaient plutôt vers le parrainage. Aujourd’hui, le risque est de réduire sensiblement la déduction fiscale accordée au mécénat en la faisant passer de 60% à 40%, ce qui aurait pour effet de relancer le parrainage.

Pourquoi redoutez-vous un basculement du mécénat vers le parrainage ?

J-M. P. : Avant 2003, il n’y avait pas de différence entre le mécénat et le parrainage. Du coup, les entreprises finançaient davantage d’actions liées à leur modèle économique qu’à l’intérêt général. Si demain on ramène l’avantage fiscal pour les dépenses de mécénat à seulement 40%, l’avantage fiscal sera minime comparé à une dépense de parrainage qui est déductible de l’impôt sur les sociétés à hauteur de 33,5%. Les entreprises ne s’embêteront pas avec le mécénat pour un écart de 6,5% : elles diront qu’elles peuvent s’engager sur certaines actions sans avantage fiscal et elles se tourneront vers le parrainage. Il y aura donc plus de dépenses de RSE et de communication, proches des enjeux de l’entreprise, mais moins de financements pour la poésie ou les sortants de prison.

Les structures de l’ESS pourraient-elles en souffrir ?

J-M. P. : D’abord, les structures de l’ESS qui se lancent vont avoir plus de mal à recourir au mécénat, puisque celui-ci va décliner faute d’incitation fiscale. Ensuite, si les entreprises transforment leur mécénat en sponsoring au profit des structures de l’ESS, leur don sera requalifié par l’administration fiscale comme une recette commerciale : pour un montant de 100.000 euros par exemple, beaucoup d’associations vont tout à coup être fiscalisées. Enfin, quand on parle diversification du modèle économique des structures de l’ESS, il n’y a pas beaucoup d’options : les subventions, les dons, la participation des usagers. Si tous les outils sont attaqués, il ne reste plus qu’à augmenter la participation des usagers. Mais le modèle associatif n’est pas un modèle marchand, donc les associations vont encore en souffrir.

Que demandez-vous concrètement au gouvernement ?

J-M. P. : Le mécénat finance l’intérêt général, le lien social, la culture, le patrimoine, l’éducation… Si le mécénat diminue, qui va financer ces actions demain, dont l’État est le principal bénéficiaire : les hôpitaux, les universités, les villes, le Louvre, Orsay… Nous demandons de ne pas traiter le dispositif du mécénat comme une niche fiscale, de ne pas raboter son avantage fiscal au point de le faire disparaître presque intégralement. On parle aujourd’hui de dizaines de millions d’euros mis en péril par les intentions du gouvernement. Or, les petits donateurs ont déjà pris de plein fouet la hausse de la CSG, cela se voit dans la collecte de dons. L’incertitude autour de l’année blanche fiscale a aussi freiné les donateurs et retardé les dons. Enfin, la transformation de l’ISF en IFI a fait perdre 130 M€ de dons aux fondations, soit une chute de près de 5%. Et bien sûr, sans hausse des subventions pour compenser. On ne peut pas se permettre cela.